Flore Poloni, associée, et Thibaud Roujou de Boubée, collaborateur, examinent la récente mise à jour des règles de l’IBA sur l’administration de la preuve, dans Le Monde du Droit.
Partner Flore Poloni and Associate Thibaud Roujou de Boubée discuss the recent update of the IBA rules on the taking of evidence.
Flore and Thibaud’s article was published in Le Monde du Droit, 15 April 2021, and can be found here.
Le 15 février 2021, l’International Bar Association (« IBA ») a publié une version révisée de ses très célèbres Rules on the taking of evidence (« Règles de l’IBA » ou « Règles »), un instrument de soft law auquel les parties peuvent faire référence soit dans la convention d’arbitrage soit dans les documents instituant la procédure (acte de mission ou ordonnance de procédure) et permettant de définir les standards à appliquer en matière d’administration de la preuve.
Ces Règles sont censées permettre de faire le pont entre deux traditions juridiques : la tradition de Common Law, habituée aux procédures de discovery, et la tradition civiliste, attachée au système de contentieux inquisitorial.
Depuis leur entrée en vigueur en 1999, elles n’avaient été amendées qu’une seule fois, en 2010. L’absence de modifications sur la dernière décennie est le témoin d’un certain succès.
Cependant depuis 2018, ces Règles connaissent la concurrence des Règles de Prague proposant une alternative plus inquisitoriale (ou civiliste) de l’administration de la preuve dans l’arbitrage international. Les Règles de Prague visent à répondre à certaines critiques notamment de temps et de coûts dont les dérives seraient créées par une administration de la preuve trop anglo-saxonne.
La version révisée des Règles de l’IBA était donc très attendue car le suspense planait sur l’approche qui serait choisie. Néanmoins, pas de grande surprise à l’horizon : si la nouvelle version des Règles de l’IBA reste fidèle à ses versions passées en opérant quelques rares modifications de fond (I.), elle clarifie surtout ses quelques dispositions ambigües et intègre le dernier état de la pratique (II.).
I. Quelques rares modifications de fond
Un passage à l’ère des procédures dématérialisées
Comme la quasi-totalité des règlements d’arbitrage modifiés récemment, les Règles de l’IBA reflètent dorénavant la croissance du traitement dématérialisé des procédures d’arbitrage.
La notion d’ « Audience en distanciel », renvoyant à des audience virtuelles ou semi-virtuelles, a ainsi été intégrée aux règles. Les Règles de l’IBA permettent au tribunal arbitral, de sa propre initiative ou à la demande de l’une des parties, de tenir une audience en distanciel. En pareilles circonstances, le tribunal sera tenu d’échanger avec les parties sur l’adoption d’un Protocole qui régira le déroulé de ces audiences.
Au nombre des sujets que le tribunal est invité à aborder avec les parties, on compte également la cybersécurité et la protection des données. Une évolution qu’il convient de saluer car elle permettra de lever un manque de clarté à cet égard et vise à minimiser les risques d’atteinte à la confidentialité ou à la protection des données ainsi échangées. Afin de guider les tribunaux arbitraux et les parties dans la gestion de ces problématiques, nous rappelons que l’International Council for Commercial Arbitration a publié un Protocole relatif à la cybersécurité en arbitrage international, et travaille à l’élaboration d’un guide relatif à la protection des données.
La faculté octroyée au tribunal d’exclure les preuves illégalement obtenues
La révision des Règles de l’IBA permet au tribunal d’exclure les preuves illégalement obtenues. Toutefois, elles ne définissent pas ce qu’il faut entendre par « preuves illégalement obtenues ». Grande latitude est ainsi donnée au tribunal arbitral et l’on imagine que cela pourrait faire l’objet d’un débat contradictoire en cours de procédure.
La possibilité d’une application partielle actée
Sans que cela ne change radicalement leur portée, la révision des Règles de l’IBA permet de lever une ambiguïté quant à leur application partielle. En effet, la définition du champ d’application des Règles ne rendait pas compte de cette possibilité, suggérée uniquement dans le préambule. En précisant que les parties disposent de la faculté d’adopter « tout ou partie » des Règles, les révisions ont aligné les dispositions du préambule avec celles concernant leur champ d’application.
La révision prend également en compte les difficultés auxquelles les tribunaux étaient confrontés en cas d’incompatibilité des Règles de l’IBA à d’autres règles applicables par ailleurs. Dans leur version de 2010, les règles imposaient à l’arbitre de concilier les deux sources, bien que cela ne soit pas toujours aisé. A présent, le tribunal arbitral dispose d’une latitude bienvenue en cas de conflit, lui permettant de n’appliquer les Règles de l’IBA que “dans la mesure du possible“.
II. Une majorité d’évolutions visant à refléter la pratique et clarifier les Règles
La pratique en matière de Redfern schedules incorporée
L’arbitrage international a ceci de particulier qu’il peut prévoir une phase de demande de production de documents détenus par la partie adverse. Au cours de cette phase, sont échangés des documents qui pourront par la suite être soumis comme pièces avec les écritures des parties.
En pratique, il est fréquent que la phase de production de documents se déroule en quatre temps. Dans un premier temps, les parties formulent une demande de documents, puis d’éventuelles objections (secret professionnel, confidentialité, etc.), elles répondent aux objections et enfin le tribunal statue sur les demandes.
Cette pratique, aussi appelée pratique des Redfern schedules – du nom de Alan Redfern et Martin Hunter qui les ont inventés – n’était cependant pas envisagée par les Règles de l’IBA de 2010, qui ne permettaient pas de réponse aux objections. C’est donc afin de refléter la pratique que la révision des règles est venue permettre aux parties de formuler des réponses aux objections.
Levée de l’ambiguïté relative à la traduction des documents
Une autre évolution notable concerne la traduction des documents transmis dans le cadre de la production de documents. Sous l’empire des Règles de 2010, une ambiguïté pouvait exister quant à la nécessité de produire une traduction des documents échangés au cours de la phase de production de documents, afin qu’il en existe une version dans la langue de la procédure. Cette ambiguïté est levée par la nouvelle formule des Règles de l’IBA n’imposant plus de traduction de ces documents, à moins qu’il ne s’agisse de documents soumis ensuite comme pièces à la procédure et qui devront dès lors suivre les règles de procédure prévues à ce sujet. Une clarification particulièrement bienvenue, au regard du volume et des coûts que peuvent parfois représenter les phases de production des documents.
Une garantie pour assurer la confidentialité des documents produits
Désormais, possibilité est donnée au tribunal arbitral de prendre des mesures permettant de garantir la confidentialité des documents faisant l’objet d’une demande de production.
Afin de garantir que ces documents demeurent confidentiels, la pratique avait développé de multiples techniques comme le caviardage de documents ou la mise à disposition du document uniquement à un nombre limité de personnes.
Ici encore, les Règles de l’IBA ne reflétaient pas la pratique car le tribunal arbitral était uniquement invité à prendre des mesures permettant de garantir la confidentialité des documents soumis comme preuves, lorsque que cela était jugé approprié.
La faculté pour experts et témoins d’amender ou compléter leurs déclarations
Les nouvelles Règles IBA sont par ailleurs venues explicitement permettre aux témoins et experts de soumettre des attestations et rapports amendés ou supplémentaires, dans la mesure où ils n’auraient pas pu traiter de nouveaux développements.
Si cette modification est bienvenue, elle cache cependant une pratique qu’imposait déjà le respect du principe du contradictoire.
III. Une occasion manquée d’aborder la question des « adverse inferences » ?
Ce qui étonne dans les nouvelles Règles de l’IBA n’est pas ce qui y figure mais ce qui n’y figure pas : une indication précise du sort à réserver à la partie qui ne produit pas un document.
En effet, l’une des limites décriées par la pratique concerne le peu de conséquences découlant du refus de l’une de parties de produire des documents. En pareilles circonstances, les tribunaux arbitraux ont la possibilité de considérer les documents demandés comme contraires à la position de la partie refusant de les produire. Cependant il est rare que les tribunaux tirent véritablement des conséquences négatives d’un refus de production de documents (en tout cas en l’indiquant dans leur raisonnement).
Proposition avait donc été faite d’imposer aux tribunaux de tirer systématiquement des conséquences négatives d’un refus de produire des documents. Cette proposition n’a cependant pas été retenue, notamment car il a été jugé préférable d’accorder une plus grande latitude au tribunal, pouvant juger plus équitable de tirer les conséquences du refus de l’une des parties de produire des documents, au stade de l’allocation des coûts de la procédure.
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